Lonely Child

 

Article paru dans Atlantico, le 23 mai 2017.

 

« “Lonely Child” : intense, dépaysant, déroutant, mélancolique et serein

Thème
Une vielle dame riche, sans héritier, décide de léguer sa fortune à l’un des descendants d’un jeune garçon autrefois recueilli par son grand-père, il y a des décennies. Cet aïeul mutique et sévère a été officier au Maroc, à l’époque de la Grande Guerre, où il a en partie élevé ce petit garçon marocain, Amazouz, qui hante les souvenirs de la narratrice. Elle part à la recherche d’un légataire de cœur, d’un lien d’amour qui ferait sens et remplacerait les liens du sang. Tariq, choisi en raison de l’attachement qu’elle a porté à ce jeune Amazouz, son grand-père, qui a embelli ses jours à l’aube de sa vie, sera son héritier.

Au fil du récit de cette quête, elle raconte sa vie monotone de femme riche et âgée, son enfance marocaine et, de manière étrangement détachée, le manque d’attention dont elle a fait l’objet lorsqu’elle était enfant.
Elle décrit ses souvenirs, tantôt lointains et vagues, tantôt nets et persistants, son attachement inconditionnel à ce garçon adopté, adulé par un grand-père dont elle-même n’a jamais suscité l’admiration.
Ce récit très personnel est celui d’une narratrice effacée, mais qui se refuse à la résignation. Les méandres de son histoire entraînent le lecteur dans les paysages colorés du Maghreb du début du vingtième siècle, dans son histoire curieuse, parfois cruelle. Sont ici décrits avec minutie les rapports entre pères et fils, colonisateurs et colonisés, filles et garçons au sein de la famille. Il s’agit aussi de l’embarras, du défaut de confiance en soi, de l’amour perdu et idéalisé.

Points forts
- Des phrases longues et enlevées qui emportent le lecteur dans un univers intense et dépaysant. Une prose juste, dont le point de vue distant confère au livre un style doux et mélancolique.
- Une subtilité remarquable dans la description des sentiments les plus intimes, notamment ceux de l’amour enfantin, de la honte et de la timidité. La scène durant laquelle la narratrice décrit son trac lorsqu’elle joue du  piano est particulièrement forte, à la fois touchante, triste et sans aucune amertume. Ce ton calme, empli de sagesse, donne au lecteur un sentiment de sérénité.
- Les confusions de la vieillesse, les oublis incompréhensibles et les souvenirs magnifiés font de ce livre une réflexion forte sur les pièges et le pouvoir la mémoire.

Points faibles
Les faiblesses sont probablement inhérentes à l’écriture très poétique du livre, dont les sinuosités, qui ressortent dans ce récit si particulier des souvenirs lointains d’une très vieille femme, sont parfois difficiles à suivre. Le fait que les événements présents et passés soient enchevêtrés ou que la trame générale de l’histoire soit parfois obscure rendent avec réalisme ce que peuvent être les souvenirs d’une personne âgée mais pourront facilement faire perdre au lecteur le fil de l’histoire. On passe d’un univers à l’autre, du présent au passé, de personnages étrangers les uns aux autres cités pour la première fois comme s’ils étaient connus, sans scène d’exposition.
Il faut donc choisir de prendre le roman comme il est, et de l’apprécier sans toujours le comprendre.

En deux mots
Un beau roman, à la trame décalée, parfois ardue. Un texte dépaysant qui plonge le lecteur dans un univers inédit, ambigu, déroutant. Un livre surprenant mais très agréable à lire dans son ensemble. […] »

 

(Marine Baron)


 

Article paru dans Le Temps, le 15 avril 2017.

 

« Histoire, familles, de quoi hérite-t-on vraiment ?



Dans “Lonely child”, bref roman, libre et élégant, Pascale Roze traverse par ellipses le XXe siècle en racontant les souvenirs d’enfance d’une femme très âgée.

Dans ce roman d’à peine 120 pages, Pascale Roze réussit à évoquer, comme en passant, avec légèreté, une bonne partie du XXe siècle : les guerres, la “pacification” de l’Afrique du Nord et ses séquelles, l’industrie déclinante du luxe, la musique contemporaine. Les phrases brèves, abruptement apposées, souvent sans rapport apparent, laissent deviner entre elles des pans entiers d’histoire.

On est en 1999, au seuil du nouveau millénaire. Une très vieille dame se dit : “Ça va, je peux mourir.” Odile Mourtier vient de réaliser un rêve ancien, sa succession est réglée, elle a “rangé sa maison” comme l’ordonne la Bible, souvent citée. Un livre, découvert par hasard, l’y a poussée, le récit de vie d’une femme de ménage marocaine. Elle s’y est reconnue dans un rôle mineur, deux lignes à peine, celui d’une petite fille pendant la guerre de 1914, et à partir de là, tout le fil de sa vie s’est déroulé dans sa cohérence secrète.

Un trophée rapporté du Maroc

Odile Mourtier est issue de deux branches que tout oppose. Du côté paternel, la carrière militaire, le cadre noir de Saumur, le devoir, la patrie. Du côté des Bréault, l’éthique protestante, l’esprit du capitalisme, le savoir-faire ancestral, la tradition artisanale, le patronat paternaliste. L’usine familiale est sise à Millau, dans l’Aveyron, capitale de la peausserie et de la fabrication des gants de haute couture. Le père meurt à la guerre de 14, Odile a six ans, elle le connaît à peine. La mère souffre de tuberculose, on éloigne l’enfant chez son grand-père paternel à Troyes, où elle passe deux ans de sinistre mémoire. Seule la présence d’Amazouz, un garçon de douze ans, trophée rapporté du Maroc par le commandant Mourtier, éclaire cet exil.

Plus tard, dans son pensionnat pour orphelines de guerre, Odile découvre le piano, “qui écrase tout”, et oublie Amazouz. Trop respectueuse de la musique, elle n’ose pas se lancer dans une carrière de soliste, mais se consacre à promouvoir la création contemporaine. Quand il faut renoncer à la fabrique, devenue obsolète, elle se trouve l’héritière d’une belle fortune. Inspirée par le salon des Polignac, Odile Mourtier institue une fondation qui subventionne de jeunes interprètes et commande chaque année à un compositeur une œuvre créée lors d’un concert à Millau.

Des enfants solitaires

En 1999, c’est “Crois-tu en l’immortalité de l’âme”, pièce inachevée d’un musicien québécois. L’œuvre et l’homme ont été la grande passion de la mécène. Claude Vivier a réellement existé, il est mort jeune, de manière dramatique, Pascale Roze n’insiste pas, à sa manière elliptique, mais ce qu’elle dit de sa musique donne très envie de la découvrir. Pour la biographie, Internet est là, et il y a matière à un roman en soi. “Lonely Child” est l’une des œuvres de Vivier, ce qui ôte au titre ce qu’il peut véhiculer de durassien et d’un peu pathétique. Des enfants solitaires, il y en a plusieurs : la narratrice, Amazouz, Vivier lui-même.

Un des nombreux thèmes qui parcourent le livre, c’est l’adoption, avec toute son ambiguïté, ce qu’elle peut recouvrir de violence symbolique et de volonté de réparation. Mourtier a-t-il adopté Amazouz, est-il son fils, s’en est-il emparé comme d’un jouet, a-t-il abusé du petit Touareg, l’a-t-il aimé “comme une mère”, comme il avait été incapable d’aimer les siens ? Amazouz a-t-il été spolié par la famille du commandant ? On ne le saura pas. Mais le garçon a eu au Maroc une belle vie joyeuse : trois femmes, quinze enfants, un magasin de cycles. On n’est pas dans un récit victimaire.

Une femme souveraine

La carrière militaire de Mourtier, ce qu’elle révèle de raideur, de maladresse, de mauvaise compréhension du contexte culturel de l’Algérie et du Maroc, est évoquée à travers les travaux du petit-fils d’Amazouz, le fils de la femme de ménage du livre. Devenu professeur d’histoire, ce jeune universitaire apprend tout à Odile sur ce grand-père qu’elle n’aimait pas, sur l’origine de son amour pour Amazouz. Les derniers mois de cette femme souveraine, intelligente et lucide, elle les consacre à revisiter le passé, à en combler les trous, à faire des liens, à réfléchir sur l’héritage – de l’argent, des valeurs, des savoir-faire.

Elle en tire des conclusions radicales qui ne plairont pas à tous mais rétablissent une forme de justice individuelle dans un monde foncièrement inégal. Une fin de conte de fée réunit les protagonistes dans un happy end sans illusions. Il y a encore beaucoup d’autres pistes esquissées dans ces pages rapides, élégantes, c’est aussi un bonheur de les suivre. »

(Isabelle Rüf)


 

Article paru dans Libération, le 15 avril 2017.

 

« Odile Mourtier, une riche héritière de 90 ans sans descendance, a décidé d’investir sa fortune dans une fondation musicale et dans le culte du compositeur Claude Vivier. Cette mélomane se passionne en particulier pour son œuvre Lonely Child. “Elle me fait penser au début de l’Évangile de Jean, une question de rythme plutôt que de mots.” Par pur hasard, elle achète un livre dans lequel elle reconnaît un bout de son histoire.

Le passage en question évoque les deux années qu’elle a passées à Troyes chez son grand-père paternel, pendant la guerre de 14. Cet officier de carrière avait ramené des montagnes de l’Atlas un enfant de 12 ans, Amazouz. Près de quatre-vingts ans après, les souvenirs se ravivent et elle se retrouve à chercher la postérité du petit Marocain chéri par son grand-père et mis dehors par sa mère. Les cartes de sa fin de vie se redistribuent. “Parce que je suis libre. Parce que je me sens comme quelqu’un qui a des dés en main et qui les lance.” Sur la faculté de ravauder le passé et de le transcender. »

(F.Rl)


 

Article paru dans Le Figaro, le 13 avril 2017.

 

« Un testament français : une vieille dame riche se cherche un héritier

C’est fou ce que l'on peut dire en cent vingt pages : raconter un pan de l'histoire de France ; se poser la question existentielle de la transmission ; faire le portrait d'une vieille dame à l'heure du bilan ; et évoquer l'adoption, les secrets de famille… Dans son nouveau roman, Pascale Roze reprend les mêmes “ingrédients” qui lui avaient valu le Goncourt en 1996 avec Le Chasseur Zéro : le travail de mémoire, la hantise des fantômes du passé, la “fouille” dans les archives familiales. Chez la romancière, ce n'est pas une question de recette, mais une obsession spirituelle et affective, une sorte de quête, livre après livre.

Dans Lonely Child (référence au compositeur québécois Claude Vivier, présent dans le texte), la romancière brosse le portrait d'Odile Mourtier. Cette dame de quatre-vingt-dix ans est richissime grâce à la fortune amassée par sa famille dans l'industrie gantière – Jackie Kennedy portait ces gants. Mourtier n'a pas d'enfant ni d'héritier. Elle a bien investi une partie de son argent dans une fondation musicale pour promouvoir le musicien québécois, mais il meurt assassiné en 1983.

Une relation incroyable

Nous sommes aux derniers jours du XXe siècle, c'est alors qu'elle se remémore son histoire familiale et celle de son grand-père, officier engagé au Maroc au début du protectorat français en 1912. Elle se souvient d'Amazouz, enfant abandonné dans la rue, qui aurait été adopté par ce grand-père courageux et aimé des Marocains. La vieille dame entre en contact avec Tariq, le petit-fils d'Amazouz, professeur d'université. Il sera son héritier : c'est annoncé dès la première page. Elle comprend, aussi, que nos proches sont des inconnus. Mais le plus important est cette relation incroyable qui se noue entre Odile Mourtier et Tariq, une relation apaisée et respectueuse traversée par une Histoire pourtant tourmentée. Que peut-on transmettre ? Voilà sans doute la question la plus intéressante qui puisse se poser. Pascale Roze, avec son écriture tout en dentelle et son art subtil de mener un récit, interroge plus qu'elle ne répond. Elle y glisse un vent d'optimisme et de fraîcheur avec ce personnage qui refuse la fatalité et la répétition des scénarios.

Dans les dernières pages, la mort rime avec “le jour se lève”. »


(Mohammed Aïssaoui)  


 

Article paru dans En attendant Nadeau, le 14 mars 2017.

 

« Le testament d'une mélomane

Que laisse-t-on ? Quel héritage ? Cette question, Pascale Roze la pose dans un esprit plus proche de sa Lettre d’été adressée à Tolstoï et du Giono des “vraies richesses” que des préoccupations patrimoniales des notaires. Mais il existe parfois des liens secrets entre les deux univers. Par le tour de force d’une intrigue bien agencée et d’une écriture nette, classique, dense, elle met en regard la province française d’aujourd’hui, Millau avec ses entreprises de mégisserie et une fondation dédiée à la musique contemporaine, et le protectorat sur le Maroc des années 1910. »

Lire la suite de l'article sur www.en-attendant-nadeau.fr.


 

Article paru dans Le Figaro magazine, le 17 février 2017.

 

« La vieille femme et l'enfant

L’absolue, en parfumerie, désigne la quintessence odorante d’une fleur. Les romans de Pascale Roze en sont en quelque sorte l’équivalent littéraire : des textes qui captent dans leur brièveté même l’essence d’une époque ou d’un destin singulier. Un pilote kamikaze dans Chasseur Zéro, prix Goncourt 1996, ou comme ici, l’héritière d’une entreprise de ganterie de Millau.

Malgré son grand âge, Odile Mourtier résiste à la conjuration des souvenirs. Sa fortune acquise en habillant les mains des princesses finance désormais une fondation de musique contemporaine. Un train-train d’érudite soudain ébranlé par un livre racontant la vie bien moins cossue d’une femme de ménage marocaine. Elle l’ouvre sur la stupeur de se reconnaître dans un passage retraçant un séjour à Troyes pendant la guerre de 14, entre son grand-père maternel et jovial Amazouz ramené du Maroc quand ce dernier servait comme officier. Un garçon de 12 ans qu’il avait sauvé de la misère et chérissait depuis mieux que son propre fils. Quand elle comprend qu’un héritage affectif scellé d’énigmes demande explication, et réparation, peut-être, la vieille dame invite auprès d’elle le descendant d’Amazouz, un certain Tariq, historien de métier.

Pascale Roze éclaire de sa subtilité les coulisses humaines du protectorat.

Qu’entend-on exactement par transmettre ? demande-t-elle au lecteur. Et que veut la vie sinon nous confier les uns aux autres. »

 

(Élisabeth Barillé)